Nous poursuivons cette série d’articles autour de l’écriture d’un livre, en prenant pour cas pratique la fanfiction Harry Potter que j’ai écrite. Après avoir vu l’idée d’une histoire, via son thème, nous allons voir comment naissent les personnages d’un récit.
Après avoir déterminé les thèmes d’A la Moldue, je me suis attelée à la création des personnages.
Le rôle des personnages dans l’histoire
Si leur création intervient avant même que je ne travaille globalement la trame, c’est parce qu’à l’instar du monde réel, ce sont les personnes qui font les actions et émotions. Ici, les personnages. Ils vont donc être le point de départ, les raisons d’être des événements qui vont se dérouler tout au long des chapitres.
Dans ALM, les personnages sont pour la plupart empruntés à l’univers d’Harry Potter. On pourrait donc arguer que je n’ai pas pu définir leur rôle. Et pourtant, sous ma plume, ils vont prendre une teneur différente. Parce que chacun va avoir un rôle qui peut différer de l’œuvre d’origine.
Pour raconter une romance humoristique destinée à critiquer l’univers de Harry Potter et les dérives autoritaires et racistes de notre époque, il me fallait donc certains archétypes :
- Un personnage principal vaisseau pour faire le lien entre le monde Moldu et le monde Sorcier, montrer l’évolution des autres personnages et de la société fictive au travers de ses propres péripéties.
- Un « love-interest » avec des points de frictions avec la romance, la tolérance, et en lien avec la guerre, tout en ayant les capacités de faire face à cela et de pouvoir, là aussi, faire le lien entre les deux mondes.
- Un chef suprême tirant les ficelles, montrant ce que le « camp du Bien » peut être amené à faire.
- Un ou plusieurs méchants représentants les forces du mal, dans leur monstruosité, dans leur création, dans la crainte qu’elles inspirent au monde.
- Un homme providentiel charismatique aux desseins troubles et à l’ambition démesurée, qui serait en réalité un véritable danger pour l’équilibre sociétal.
- Des personnages représentant les forces du bien, luttant contre le mal croissant et le mal clairement exprimé.
- Des personnages incarnant le 4e pouvoir (la Presse), et le rôle qu’il peut avoir dans la société.
- Des personnages sensibles aux propagandes racistes dominantes, coincés dans un déterminisme social et familial.
Celles et ceux qui ont lu A la Moldue sauront qu’il s’agit respectivement de :
- Jane Smith (personnage inventé, un « Other Caracter » ou « OC »)
- Severus Snape
- Albus Dumbledore
- Ombrage, Voldemort, Bellatrix et Joseph Abernathy (OC pour ce dernier)
- Lucius Malefoy
- Sirius Black, Nymphadora Tonks, Alastor Maugrey, les Weasley, etc.
- Rita Skeeter, Connor Oaken (OC), Nathalie Delorme (OC),
- Draco Malefoy, Blaise Zabini, Pansy Parkinson
Si je n’évoque pas le rôle d’Harry Potter ou de Neville Londubat – pourtant très importants dans mon histoire – c’est parce qu’ils ne sont pas important pour le thème de mon histoire.
Créer un personnage de A à Z
Jane Smith
Jane Smith est une Londonienne d’une trentaine d’années, Moldue, journaliste/pigiste en freelance, issue d’une famille aisée, sensible aux questions du féminisme et geek.
Dit comme ça, c’est pratiquement mon portrait craché, et c’est très involontaire. C’est sa construction qui a fait que Jane me ressemble, parce qu’elle se devait être le pur produit de son époque. Ça en dit long sur ce que je suis, mais tant pis.
Jane vient d’une famille aisée, parce que je voulais que ses considérations soient culturelles et sociétales, plus que sur l’aspect survie. Je voulais également qu’elle ait de grandes libertés matérielles, ce qui était impossible sans un minimum d’argent.
Elle est geek, parce que je voulais introduire la question de la culture populaire Moldue, et ce qui fait fureur actuellement (car rappelons que j’ai décidé de faire l’histoire dans les années 2010 et non 90) tourne autour de cet univers. Du reste, il y a beaucoup de passerelles entre certaines œuvres connues et le monde et les personnages d’Harry Potter. Le Seigneur des Anneaux, évidemment, mais aussi Star Wars ou encore Batman.
Jane devait être analyste bancaire. Je tenais à ce qu’elle ait un boulot chiant qui justifierait la facilité avec laquelle elle répond à l’appel de l’aventure. Mais pour traiter d’une histoire politique, je trouvais très intéressant d’en faire une journaliste et d’utiliser ses compétences au sein du récit.
Enfin, Jane est une femme indépendante et féministe, éléments essentiels pour mettre en lumière le sexisme brutal de l’univers de Harry Potter… et du personnage de Severus Snape.
Jane est donc une fille comme on peut en croiser partout à notre époque. C’est quelqu’un de plutôt épargné par les épreuves (si on passe sous silence celles que peuvent rencontrer les femmes), et qui a un tempérament combattif et curieux qui va se heurter à un monde aux antipodes de son éducation. En zoomant, on se rend compte que Jane n’est rien d’autre qu’une version adulte et 100% Moldue d’Hermione Granger, et qu’elle est là pour apporter l’œil critique que le personnage d’origine de Rowling n’a fait que du bout des lèvres.
Le nom de Jane Smith n’est d’ailleurs pas un hasard : il s’agit des prénoms et noms les plus communs au Royaume-Uni. J’avais hésité avec « Jane Doe », et j’ai terminé par le « Smith », utilisé aux RU pour les femmes non identifiées.
Connor Oaken
On voit finalement assez peu ce gratte-papier détestable. Mais il apparaît suffisamment pour « foutre sa merde ». Connor Oaken est une sorte de croisement entre Eric Zemmour et Christophe Barbier : laid sur tous les plans, complaisant avec le pouvoir, aimant particulièrement l’effet que peuvent avoir ses chroniques.
Je voulais impérativement avoir une plume politique « pro-ennemis » dans ALM. Parce que Rita Skeeter (et plus tard la Gazette du Sorcier) incarne la ligne « Paris-Match ». Une ligne people de la politique. Oaken devait donc être la rencontre entre Marianne et Valeurs Actuelles. Le mec qui « a le courage de dire ce que tout le monde pense ». Sa plume est incisive, pleine de venin… et au service de Lucius Malefoy.
Connor Oaken est sexiste, classiste, raciste. Il pense que le pouvoir ne doit aller qu’à une élite dont il crève d’envie de faire partie et qu’il flatte selon ses intérêts. Très exploité en première partie d’histoire, je regrette qu’on ne le voie plus aussi souvent par la suite.
Nathalie Delorme
Second couteau de Oaken, jeune journaliste pleine d’ambition qui fondera certainement son propre journal, voire arrivera à évincer Oaken pour prendre sa place au « Véritascriptum » (journal inventé par mes soins). Très peu décrite, Nathalie devait être tout à fait charmante, savoir parfaitement bien s’exprimer à l’oral comme à l’écrit, être facilement invitée partout. C’est une sorte de Natasha Polony brune au curseur politique soi-disant trouble… mais résolument à droite quand on lit avec un peu d’attention.
Je l’ai créée, car je ne voulais pas que la place de journaliste fielleux soit uniquement détenue par un homme. Nous avons plusieurs profils dans la vraie vie, c’était essentiel de montrer qu’il n’y avait aucune exclusivité.
Joseph Abernathy
Un personnage qui apparaît dans la seconde partie de l’histoire et qui prend une ampleur et une place très importante chez les méchants.
Joseph est un Gryffondor raté qui bosse misérablement dans une boutique de vente de balais, qui dort dans un cloaque qu’il déteste, qui n’a ni amour ni amis, et qui semble haïr le monde avec la même intensité qu’il se hait lui-même. On le découvre au moment où des « séparatistes » dans la population se mettent à tagger des Marques des Ténèbres un peu partout (équivalent des croix gammées).
Joseph est l’incarnation de ce que les « gens du commun moyen » peuvent devenir sous l’impulsion et la montée des extrêmes. Il est insignifiant, faible, c’est un sorcier médiocre de surcroit, qui devient pourtant un Mangemort redoutable… alors que si vous lui posez la question un à deux ans auparavant, il vous certifie qu’il faudrait « faire barrage à Voldemort ». Pour plus d’information sur la façon dont je conçois ce genre de personnages, je vous renvoie à cet article : Bien écrire un personnage mauvais.
Le processus créatif d’un personnage original
S’ils partent tous d’un concept à l’origine, chez moi, les personnages originaux ont très vite une apparence et un nom qui leur vont comme un gant. Soit c’est en totale contradiction pour créer une dissonance surprenante, soit ils sont l’exact reflet de leur personnalité.
Pour le nom des personnages, je vous renvoie à mon article sur comment créer le nom d’un personnage (avec utilisation de générateur ou encore de Google traduction).
Voici donc les étapes par lesquelles je passe pour créer un personnage, qu’il soit principal, secondaire, ou totalement anecdotique :
- Le thème/but du personnage
- Deux/trois éléments de caractère
- L’apparence
- Le nom
- Un ou deux détails précis à son sujet
Pour l’apparence et le caractère, je puise très souvent dans la vraie vie. Même les personnages un peu fantasmagoriques qui vont avoir les cheveux/yeux d’une couleur bizarre (bien qu’il n’y en aient aucun dans ALM) doivent avoir des choses réelles. J’ai un carnet dans lequel je note des détails qui me viennent quand je croise des gens dans la rue, quand je suis face à une œuvre, etc. Ça va du trait de caractère au détail physique, en passant par le toc.
Quelques extraits (réels) de ce carnet :
- Personne fondamentalement gentille et positive, capable de tenir une conversation entière sans tournure négative.
- Homme corpulent du genre à manger uniquement « français » dans un restaurant chinois.
- Jeune homme écoute musique très forte sur portable en mode ballec dans les transports. Qui se la pète gros thug, mais qui coupe en rougissant et docilement dès qu’on lui fait la remarque.
Tout est dans le détail chez un bon personnage
Dans ALM, j’ai créé plein de petits personnages qu’on ne voit qu’une seule fois. Mais il est nécessaire qu’on ait l’impression qu’ils ont une vie réelle en dehors de la scène. C’est avec ce souci du détail que je tente de traiter tous mes protagonistes : sur un même pied d’égalité. Voir mon article sur comment créer de bons personnages secondaires.
Voici un extrait d’ALM entre deux personnages : un canon et très important, et un inventé et si insignifiant qu’on ne le verra qu’à cette occasion :
Cela n’étonna donc personne de voir le Ministre de la Justice s’engouffrer, visage découvert, dans l’Allée des Embruns et se diriger droit vers « Strate à Gemmes ». Quand le blond passa la petite porte noire aux vitres opaques, ni carillon ni chant d’oiseau délicieusement poétique ne retentit. Contrairement aux autres échoppes luxueuses, celle-ci ne s’embarrassait d’aucun décorum pompeux. C’était davantage un atelier qu’une boutique éclairée où s’étalait une quantité folle de bijoux éclatants sur leurs présentoirs. Lucius Malefoy tomba donc directement sur le propriétaire des lieux, le dos courbé sur un ouvrage devant lequel étaient dressées bougies et loupe. Rolland, l’œil droit surplombé d’un monocle épais, scrutait avec attention une pierre somptueuse d’environ 1 pouce et demi, à la robe rouge sang. Le Mangemort siffla d’admiration, en la voyant, avant de saluer poliment son hôte.
« Maître Adroman, veuillez me pardonner pour mon intrusion inopportune, je désirais…
— Un instant, Lord Malefoy. » Le coupa le joaillier sans même daigner lui accorder le moindre regard.
Il hocha la tête, puis rajusta son monocle, avant de lever une lame si affûtée qu’un reflet bleuté flottait au-dessus du tranchant. D’un geste assuré, l’artiste tailla la face de la gemme, produisant une poussière écarlate légère. Adroman était en grande partie réputé pour sa faculté à tailler les pierres en perdant le moins de matière. Ce faisant, l’exemplaire qui luisait dignement devant lui avait pratiquement la taille finale. Il hocha une nouvelle fois la tête, puis reposa le monocle et se tourna enfin vers son client.
« Voilà, votre intrusion est pardonnable. »
De son origine modeste, Rolland Adroman avait gardé son ton mordant et quelque peu insolent à l’égard de la bourgeoisie, et ce même si elle payait grassement ses services. Face à un Lord – qui plus est habitué à lui commander des parures complètes – Rolland n’adoucissait certainement pas le ton. Mais Lucius ne lui en tint jamais rigueur, car aux yeux du Mangemort certaines personnes gagnaient, de par leur mérite ou leur Art, le droit d’être odieuses.
Extrait d’A la Moldue – Chapitre 41 : Connexion
En quelques mots, nous en apprenons plus sur ce personnage que si j’avais fait une description complète. Son physique n’a aucune importance, pourtant on l’imagine très facilement, et surtout : de par son caractère et son interaction, on apprend de nouvelles choses à propos de Lucius Malefoy. Il ne sert pas qu’à lui donner la réplique.
Un personnage n’est pas là pour décorer, il est toujours là pour faire avancer soit l’intrigue, soit la compréhension du lecteur à propos de l’univers et/ou de la psychologie des personnages.
Et cela n’est possible que si on sait exactement qui ils sont.
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