Dans un article reprenant ce qui était selon moi les erreurs fréquentes de débutants en storytelling, j’évoquais ce que je nomme « le syndrome d’il était une fois ». Je pointe notamment du doigt la mauvaise utilisation des dates par les storytellers (ou les marques).
Mais il ne faut pas pour autant les bannir de vos contenus. En faisant preuve de créativité, on peut même faire du storytelling puissant uniquement grâce aux dates. Et c’est au travers d’un cas pratique que je vais vous le montrer.
L’excellente utilisation des dates en storytelling de Brooks Brothers
Je suis tombée sur cette marque en faisant des recherches marketing pour le storytelling d’un client dans la Mode. Je cherchais à m’imprégner de l’univers des costumes de luxe. Je voulais capter le wording, comprendre les habitudes linguistiques et philosophiques des clients de mon client. Et, au milieu des énormes pavés de textes plus ou moins similaires et pompeux, une page a retenu mon attention : la page « about-us » intitulée sur le site « our heritage ». Nous reviendrons sur la nomenclature lors de la phase d’analyse.
Pour l’heure, retenez que la maison de couture Brooks Brothers est une marque américaine emblématique fondée en 1818. Avec une telle ancienneté, la page « à propos » risquait d’être un énorme pavé indigeste… ou bien un encart ridicule au regard du poids historique de la marque.
Notez bien mes mots, ils sont choisis à dessein.
Voici donc ce qui leur sert de page « à propos » :
Pourquoi Brooks Brothers raconte son histoire en dates ?
Camille se serait trompée ? Non. Je persiste à dire que personne n’aime les dates et que ça ne raconte rien… à moins d’être un-e vrai-e storyteller qui va concevoir son récit jusque dans son format.
Dans l’introduction au storytelling que j’ai écrite (et que vous retrouverez dans « La Meilleure Formation de Rédacteur Web du Monde » de SEOmantique), je dis ceci :
Le Storytelling n’est pas qu’une histoire racontée avec des mots ou des images. C’est aussi une histoire racontée par des moyens de communication. Par un enchaînement de contenus.
Ici, nous n’avons pas de pavé de texte, nous avons une suite de dates avec des événements et des images rattachés. Pourtant, il y a bel et bien un récit qui est narré sur cette page.
Un récit conséquent qui s’est construit sur DEUX SIÈCLES.
Au moment de concevoir cette page « à propos », Brooks Brothers s’est retrouvé face à une réelle problématique : comment raconter l’histoire de la marque, transmettre son poids, son sérieux, ses valeurs et son historicité sans pour autant assommer son lecteur (qui navigue essentiellement sur mobile, d’ailleurs) ?
Les dates étaient le chemin, la frise la clé et la transmission de l’idée que Brooks Brothers est une marque historique était la destination.
Le poids d’une date en Storytelling
Une date permet bien (trop ?) souvent d’être un point de départ. C’est un élément rassurant pour le storyteller qui lui permet de débuter très facilement son récit, mais c’est également un élément narratif classique et attendu par les lecteurs.
Nous baignons dans les récits qui débutent par « Il était une fois », « Notre histoire commence… » et autres « Il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine… ». En outre, l’Humain est un animal obsédé par le temps et son empreinte dans ce dernier, malgré sa propre existence fugace. Il n’est donc pas étonnant que les dates soient un élément d’ancrage important de nos récits et que cela nous vienne naturellement quand on souhaite raconter quelque chose : nous avons besoin d’exprimer le fait que ce sont des faits passés, voire anciens, voire, et c’est le positionnement de Brooks Brothers, historiques.
Avoir une date permet d’inscrire un récit dans une temporalité, donc dans un univers, donc dans une culture et une construction historique.
Brooks Brothers cite beaucoup de dates qui ne concernent pas la marque
Rappelons-nous que Brooks Brothers avait un problème de format : la marque a une histoire de plus de deux-cents ans, il fallait à tout prix éviter le pavé illisible – surtout sur mobile. Alors, pourquoi s’embarrasser de dates qui ne concernent pas l’histoire de la marque ?
La frise commence par 1818 et nous propose deux événements : la réouverture de la Maison-Blanche aux USA et l’ouverture du premier magasin Brooks Brothers. Par la suite, il faudra attendre 1833 pour avoir une nouvelle occurrence concernant la marque. Et, entre temps, la frise déroule pas moins de 6 dates et événements historiques qui n’ont pas grand-chose (ou carrément rien) à voir avec Brooks Brothers.
Pourquoi ?
Deux raisons à cela :
- La mise en perspective et l’effet de miroir mettant sur le même plan certains événements.
- L’angle storytelling choisi
Pour la première raison, vous noterez que la marque choisit parmi tous les événements marquants de 1818 – comme, par exemple, la création du drapeau américain – la réouverture de la Maison-Blanche. C’est cet événement qui est sélectionné pour être mis en miroir avec l’ouverture du premier magasin. En faisant cela, Brooks Brothers met sur l’exact même plan les deux événements. En faisant cela, ils disent que leur marque est aussi fondatrice et partie prenante de l’Histoire des USA que la Maison-Blanche elle-même.
Pour la seconde raison, j’ai parlé d’angle de storytelling. Et il est celui de l’historicité. Brooks Brothers n’est pas qu’une marque de Mode, c’est un pan de l’Histoire américaine : son histoire s’est construite avec elle, l’entreprise traverse les âges et s’adapte aux époques. Le fait de citer d’autres dates permet de montrer que le monde évolue, et permet, là aussi, de mettre sur le même plan des événements majeurs et ceux concernant la marque.
La façon dont Brooks Brothers sublime les dates
Et pour renforcer cette notion d’historicité, la marque a un véritable coup de génie : faire une vraie frise chronologique. Une frise historique !
Ludique, esthétique, UX-friendly (même si on peut trouver à redire à la taille des polices), la frise est une idée absolument fantastique. Comment, en un clin d’œil, on peut raconter une histoire en lui donnant au passage une majuscule. Comment on donne, juste grâce au choix du format, une dimension grave et dramatique à un parcours commercial.
Faisant cela, la marque délivre immédiatement des valeurs puissantes, une autorité incontestable.
C’est par la suite renforcé par le choix sémantique : il ne s’agit pas d’une page « à propos », malgré ce que l’URL veut bien nous dire, mais bien un « héritage ». Ce n’est pas qu’une « succès story », c’est un leg à la culture et l’Histoire américaine. Voire un legs à l’Humanité.
Vous réclamiez du storytelling jupitérien ? On est en plein dedans : Brooks Brothers éclipse ses concurrents dans sa page, seule l’Histoire peut tenir la comparaison.
Bonus : la frise se termine par un Call to Action aussi intelligent que le reste.
Leur actualité peut sembler moins impressionnante, puisque partagée sur un réseau social sur lequel le tout venant peut y inscrire l’insignifiant. Mais elle sera en réalité l’Histoire de demain. Celle qui s’écrit sous vos yeux, et la marque vous dit qu’il ne tient qu’à vous d’en être témoin… voire d’en faire partie en la suivant. Donc, en adhérant à la « tribu », donc en consommant la marque.
En d’autres termes : Ils font l’Histoire, vous la portez.
Une excellente introduction au storytelling car je n’en suis pas encore à ton chapitre sur la MFM, Camille. Je vois aussi dans cet article, une étude de cas client très fine. Un beau doublet intéressant et inspirant. Merci, :).
Merci Magali ! Techniquement, cet article va plus loin, car il est concret. Mais pour la MFM, il s’agissait vraiment de faire une intro pour piquer la curiosité et pousser à la recherche… tout en débunkant un concept qui m’agace : storytelling = raconter des histoires comme si on était un auteur.
Merci pour ce partage ! Ton analyse est impressionnante. En tant que débutant, élève de la désormais célèbre MFM, ton article et tes contenus en général sont très formateurs et motivants.
Merci à toi, et bienvenue dans ce métier et plus spécifiquement dans cet univers du storytelling qui est passionnant et inspirant. Je suis hyper flattée, mais d’autant plus contente que les contenus que je propose autour de ça soient pertinents et utiles. Merci pour ce super retour !
Toujours très captivants tes écrits ! J’ai beaucoup aimé ce complément d’information avec cet exemple expliqué ! Merci Camille ! J’ai également beaucoup apprécié la partie sur le Storytelling de la MFM.
Merci Melinda, c’est parfait s’il se couple parfaitement à la partie de la MFM. J’en ferais peut-être d’autres à l’occasion, si je trouves d’autres exemples (et inspirations) aussi efficaces ^^