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Peut-on faire de la Rédaction Web éthique ?

Cet article aurait pu s’appeler « ou comment nous dealons chaque jour avec nos convictions, parce que le marketing est fait de clichés », mais ça aurait été trop long.

Dans cette question, je ne parle pas de choisir ses clients, je parle d’une problématique qui s’est déjà imposée à moi : traiter des textes sexistes ou hésiter sur le type de couple à présenter. Cet article n’a absolument pas l’intention de faire la morale à qui que ce soit, ni même celle de répondre à la question initiale. Au contraire : nous allons plutôt y réfléchir à syntaxe haute, car la question se pose. Car les temps nous le demandent.

 

Rédiger pour le Web peut être un vrai casse-tête politique

N’ayons pas peur d’appeler un chat un chat : écrire est éminemment politique. Qu’on décide d’être en permanence « neutre » ou engagé(e), cela véhicule une présence ou une absence de conviction. La neutralité, en fait, n’existe pas pour moi. Refuser de se positionner, c’est déjà une position, et ce n’est certainement pas la vague « ni de Droite ni de Gauche » qui me contredira.

Quel rapport avec le métier de Rédacteur Web ? Absolument tout. Nous écrivons pour faire vendre des produits, des gens et des services. Nous utilisons des métaphores, des leviers émotifs et des biais marketing fondés sur des bases sociologiques normées. La publicité est faite de codes faciles à identifier, répondant à des associations d’idées simples.

 

Nous réclamons de meilleures réclames !

Lessive = maman qui veut prendre soin de bébé et qui cherche l’efficacité. On va mettre une maman, un enfant et/ou un bébé qui va faire des taches, elle va être en grande difficulté, jusqu’à ce que « la voisine » ou la publicité lui mette le produit dans les mains. Et à la fin, tout le monde rit de bon cœur.

Aujourd’hui, il existe des variantes où on voit papa (sous-entendu séparé) s’en charger. Si l’avancée semble louable, vous noterez qu’on va surtout parler de l’efficacité de la lessive, pas du « respect du PH de la peau et de l’environnement ». Non, cela reste encore le domaine de la femme.

Ça peut sembler dérisoire comme point d’analyse à celles/ceux qui n’ont toujours pas compris l’intérêt de conscientiser la publicité, mais quand on commence à les décortiquer on voit très vite que contrairement aux discours ambiants, le marketing est totalement archaïque.

  • Les femmes aiment la mode, les enfants, la nature, le bio, le doux, la culture, le plaisir
  • Les hommes aiment la performance, l’évasion, le challenge, le risque, l’inconnu, la conquête

Prenez la plupart des publicités et regardez-les réellement pour ce qu’elles véhiculent. Ça commence à bouger, mais… Mais c’est encore des femmes qui ont des orgasmes avec du chocolat fabriqué par des hommes, et des hommes qui se libèrent de leur patron en s’évadant grâce à une grosse voiture.

En publicité vidéo, ou en textes écrits, le problème est le même : nous écrivons nos petits clichés avec une certaine complaisance.

 

L’impact du travail de notre travail

On pourrait se dire que le métier étant si peu valorisé, et les fiches-produits si peu lues (tousse), pourquoi s’embêter à réfléchir à la société que l’on dessine avec nos textes ?

Parce qu’en ne conscientisant pas notre métier, on risque très probablement de contribuer à véhiculer des clichés. Écrire « Monsieur, pour la St-Valentin, offrez à Madame » (ou inversement), c’est partir du principe qu’il n’y a que des couples hétéros. Écrire « Pour les garçons qui veulent être des pirates, et pour les petites filles qui veulent être des princesses… » c’est contribuer à l’enfermement des gamins dans des clichés sexistes.

Bref, dresser le portrait d’une société blanche, éternellement jeune, hétérosexuelle, relativement chrétienne et bienheureuse dans son « bleu et rose » ; c’est un fait politique. Qu’on n’en soit pas conscient, qu’on ne puisse pas faire autrement, ou qu’on l’évite à tout prix, notre métier va se retrouver au cœur d’un enjeu sociétal majeur. D’autant plus en ce siècle où les mentalités essaient de bouger.

Et quand on rédige n’importe comment, que peut-il se passer ? Ceci, par exemple, qui m’a inspiré cette réflexion :

 


Bêtise dans le texte, badbuzz à l’arrivée. Le genre de « dérapages » qui peuvent coûter extrêmement cher à une marque, et je ne parlerai pas de votre carrière…

 

Alors, que faire ? Pouvons-nous vraiment changer le monde ?

En tant que professionnelle, ma réponse est assez simple : parlez-en à votre client. Voyez avec lui comment il se positionne sur le fait de ne pas invisibiliser des couples homosexuels par exemple (pour reprendre mon propos sur la Saint-Valentin).

Mais ne nous mentons pas : il y a fort à parier qu’il/elle ne veuille pas prendre « le risque » de vexer son client final en « politisant » son texte. Dans une décennie où le mot d’ordre est « On ne peut plus rien dire Jeannine ! », le client peut être très frileux à l’idée de vouloir des textes « inclusifs », de peur de braquer sa clientèle.

Je ne suis pas en train de vous dire que c’est bien ou mal, je vous parle de business. Et de vous à moi, on sait très bien que si en ce moment les différentes causes avancent sur le plan représentation, ce n’est pas pour des raisons morales. C’est parce que les marques ont compris qu’il y avait un marché à prendre.

Dans cette optique, vous pouvez jouer de cet argument. Mais vous allez sans doute devoir écrire des conneries sexistes pour manger. Ça m’arrive, je n’en suis pas fière, ça fait partie de mes hypocrisies. Chacun a sa sensibilité.

Mais, maintenant que j’ai soulevé ça, vous ne pourrez plus dire que vous ne savez pas : vos mots n’ont pas qu’une valeur. Ils ont un impact.

Image à la une d’après une photo de Jonas Lee

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