Je me souviendrai toujours de ce que ce conn-mec m’a dit à un apéro-réseautage : « Tu écris des fanfictions ? Peuh ! T’écris pas vraiment, alors. » et lui et sa barbe de hipster impeccablement taillée se sont barrés faire semblant de s’intéresser à d’autres personnes.
J’ai affecté d’en avoir rien à faire, mais intérieurement, je m’étais sentie profondément remise en question, et ce par une personne qui semblait n’avoir pour seul achèvement littéraire son mémoire d’étudiant et les cartes de visite qu’il distribuait frénétiquement.
Aujourd’hui je ne balbutierai plus en m’excusant presque d’avoir osé dire que j’écrivais dans des univers qui n’étaient pas à moi.
Parce qu’aujourd’hui j’ai compris que c’était l’essence même de mon métier.
La fanfiction est un genre littéraire noble
Accusons l’élitisme Français qui retrousse les lèvres quand on parle de fanfiction (ou de SF ou de fantastique). Accusons l’élitisme bourgeois qui fronce les narines quand on parle d’autopublication gratuite sur des fandoms populaires.
Mais accusons surtout l’absence de connaissance des gens de ce qui est injustement considéré comme un sous-genre de la littérature.
La fanfiction est une œuvre qui prend place dans un univers déjà créé par quelqu’un d’autre. Que cela soit une œuvre littéraire, picturale, cinématographique, théâtrale… la fanfiction est en réalité la base même de nos récits depuis la nuit des temps.
Si quand on parle de fanfiction on pense facilement à la petite histoire sur un univers pop pour ados*, traitant généralement de problèmes d’ados avec un style d’écriture équivalent ; il s’agit en réalité d’un genre qui est beaucoup plus noble et travaillé qu’on ne le croit.
- Quand « sort » le Nouveau Testament, il ne s’agit ni plus ni moins qu’une fanfiction de l’Ancien Testament : on garde la cosmo, on valide certaines choses canons, on change quelques règles, on introduit de nouveaux personnages et enjeux.
- Quand sort une nouvelle histoire sur Batman (ou tout autre super héros), c’est ni plus ni moins de la fanfiction. Pour les mêmes raisons.
- Quand n’importe qui travaille le mythe d’Arthur et des chevaliers de la Table ronde, c’est aussi de la fanfiction.
- Quand Tarantino écrit Inglorious Basterds, c’est de la fanfiction, basée sur la réalité.
En regardant objectivement les œuvres, les reboots, les sequels, les prequels, et autres adaptations qui prennent des libertés ici ou là, nous consommons et apprécions bien plus souvent des fanfictions qu’on ne le croit.
La fanfiction est un genre qui est plus difficile que d’autres
Peuh ! T’écris pas vraiment, alors.
Non, tu as raison, je fais comme si. Je me mets devant mon clavier, et je mouline des doigts en imaginant que des mots s’inscrivent à l’écran.
C’était vraiment une réflexion stupide. Comme s’il existait une vraie et une fausse écriture. Quand on écrit, que cela soit en tant qu’auteur ou en tant que Storyteller, on sait que l’écriture est un processus intense qui demande toujours de la réflexion.
La fanfiction est déconsidérée, car nous sacralisons l’idée de créer un univers et des personnages, alors qu’il est (selon moi) en réalité beaucoup plus simple de ne partir de rien que de devoir s’adapter à l’existant. La fanfiction est difficile, parce que l’on prend un matériau de base avec ses règles, sa cosmo et des personnages avec leur caractère, une communauté qui a ses habitudes, ses codes et ses attentes.
Écrire de la fanfiction c’est doublement réfléchir. On ne pense pas seulement une histoire (car l’histoire nous appartient entièrement, en réalité), on ne met pas seulement en scène des personnages dans un univers : on doit analyser ce qui existe, s’en imprégner, le maîtriser, le faire sien.
Il s’agit d’emprunter un univers et des personnages, et de parler à une communauté.
Le Storytelling est de la fanfiction de marque
En tant que Storyteller, vous allez vous imprégner d’une culture d’entreprise, d’une histoire de marque. Vous allez devoir composer avec des acteurs de cette marque (humains ou produits/services) que vous transformerez en personnages de vos narrations.
Et vous allez aussi faire face à une communauté (un fandom) qui voudra que votre narration réponde aux codes qu’elle considère comme étant plus ou moins canon.
De la même manière qu’on ne voit aucune histoire de Batman où Bruce serait né pauvre, laid et stupide, vous n’allez pas raconter que Burger King décide de ne plus faire de viande cuite au grill, mais du poisson pané au bain-marie…
Vous ne pouvez pas le faire, parce que la marque a ses codes et que la communauté a des attentes.
MAIS !
Vous pouvez dire que Superman s’est crashé en URSS et qu’il est devenu la mascotte de l’Union soviétique. Vous pouvez dire que Burger King fait aussi du burger vegan. Ce sont des nouveautés, des façons de revisiter des choses connues, en respectant pourtant l’essence même des produits et la culture d’entreprise.
Superman reste un goldenboy qui fait gagner un bloc par rapport à un autre (rappelons qu’il a été créé pour représenter l’Amérique triomphante face au nazisme et plus tard aux communistes), peut totalement passer à l’ennemi. Vous pouvez raconter cette histoire pour explorer plus en profondeur les arcs et tensions narratifs politiques relatifs à ce personnage. En aucun cas son essence et son symbolisme ne sont trahis.
De la même manière, le veganisme est un peu l’URSS de Burger King. Vous pouvez raconter que la marque utilise le même soin dans ses burgers, sait donner tout autant de goût à ce qui n’est pas de la viande. Là aussi, l’essence même est préservée.
Travaillez le Storytelling, écrivez de la fanfiction !
On n’arrête pas de lire partout que le storytelling est « l’art de raconter des histoires ». Mais c’est en réalité celui de renouveler celles qui existent déjà.
Votre job en tant que Storyteller n’est pas de créer de toute pièce ce qui n’existe pas, mais de prendre ce qui existe pour en faire quelque chose qui va parler à l’audience.
Vous voulez améliorer vos compétences en Storytelling ? Apprendre à plus facilement identifier de nouveaux personnages potentiels ? Créer des tensions encore inexploitées dans des histoires existantes ? Renouveler un intérêt autour d’une marque ?
Faites de la fanfiction. Entraînez-vous à écrire de courts textes narratifs dans des fandoms que vous ne maîtrisez pas. Obligez-vous à vous plonger dans les recherches nécessaires vis-à-vis des personnages et de la communauté pour apprendre à déceler ce qui fait la culture du fandom.
La fanfiction vous apprendra qu’aucune histoire n’est terminée. Aucune histoire n’est figée. Et qu’il y a toujours un angle narratif à exploiter.
Pratiquez. Pratiquez. Pratiquez.
Écrivez. Écrivez. Écrivez.
Et quand vous commencez à piger le truc, faites la même chose… mais avec des marques, des produits, des personnes existantes.
*J’ai moi-même ma propre fanfiction, écrite dans l’univers Harry Potter. Elle s’appelle « A la Moldue », elle cartonne et j’en suis très fière.
Image à la une d’après une photo de Jaredd Craig
Ping : La première étape pour écrire un livre - Camille Gillet
Quelle superbe analyse ! Rien à ajouter, tu viens de me mettre une belle leçon dans les dents, avec élégance et arguments. Merci, :).
Avec plaisir, tant que ça te motive et te donne des idées, c’est l’essentiel !