« On n’entre pas chez les gens avec son képi sur la tête, ni avec ses lunettes sur le nez et en lisant son texte, quand on s’appelle le Général de Gaulle. » disait un Marcel Bleustein-Blanchet [1], patron de Publicis à un Président prenant une véritable leçon de communication.
Leçon retenue par les générations futures si l’on en croit le dernier gros coup de Com’ d’Emmanuel Macron, Président et candidat à sa réélection.
En 2021, on n’entre plus chez les gens via la télévision, régie par des lois restrictives, mais par le Far West que représente Internet. Le képi est remisé, la veste de costume peut parfois l’être, mais plus que tout : on ne lit plus de discours, on l’incarne.
En faisant une vidéo qui défraie la chronique avec les Youtubers et influenceurs McFly et Carlito, Emmanuel Macron renoue avec un storytelling qu’il connaît très bien : celui de la disruption.
De Jupiter à Saturne, analyse d’une posture marketing qui fait mouche au pays des fromages qui puent.
Jupiter, Président sous la Ve République
C’est au cours d’un entretien à Challenges en octobre 2016 [2] qu’Emmanuel Macron évoquera pour la première fois sa volonté d’incarner un président « Jupitérien », et les chroniqueurs de l’époque y verront une volonté narcissique de se comparer au « dieu des dieux » mêlée à celle de rehausser la fonction présidentielle. Si cela est difficilement irréfutable, la narration jupitérienne a également une existence dans le storytelling et donc une réelle utilité marketing.
Sébastien Durand, auteur du concept des 7 storytelling [3] le définit comme ceci :
« Des histoires pour être puissant et le rester, exercer un pouvoir avec majesté. »
Emmanuel Macron, plus jeune président de la Ve République et génie marketing politique [4], n’aura certainement pas choisi ce terme à la légère.
Durand nous conforte dans cette idée lorsqu’il ajoute plus tard dans son livre que Jupiter est le « dieu qui maîtrisera ainsi le temps, qui peut en arrêter la course […] », ce qui n’est pas sans nous faire penser à Emmanuel Macron, « Maître des horloges » [5]. Et ce dernier n’hésitera pas à marteler l’expression au début de son quinquennat face à des journalistes ou des conseillers le pressant de passer devant des caméras ou des micros à la moindre sortie politique à son encontre.
L’ensemble de son quinquennat sera par ailleurs marqué par ces prises de libertés avec la parole étatique : Président qui distille son verbe avec parcimonie et souvent en retard, allocutions surprises, médias alternatifs, la Présidence Macron est une Présidence jupitérienne où la voix du père survient selon sa volonté et non plus celle de son clergé.
Il gouverne, seul maître à bord, n’hésitant jamais à invoquer une responsabilité propre, teintée d’une immunité divine [6].
En ce sens, Emmanuel Macron se démarque du Président « Normal » que voulait être Hollande et qui sera surpris en plein flagrant délit d’adultère à dos de scooter. Il se démarque également de l’hyper-Président bling-bling incarné par un Sarkozy auprès duquel il finira par chercher conseil, jusque dans les unes de Paris Match et les rallyes en Jetski.
Mais, fondamentalement, il s’auréole d’une distance divine et mystique et les commentateurs qui ont raison de rappeler que l’essence de la Ve République est bien jupitérienne ont également tôt fait d’oublier que le storytelling d’Emmanuel Macron est et a toujours été en réalité saturnien.
Saturne, père des dieux, fossoyeur des conventions
Lorsqu’on prédit à Saturne qu’un de ses enfants le renversera et mettra un terme à sa tyrannie, celui-ci ne se décide pas pour une thérapie familiale, mais pour du cannibalisme infanticide.
Saturne l’impulsif est sans tabous ni limites, et lorsque Jupiter parviendra à échapper à son carnage pour revenir accomplir la prophétie et le bannir auprès des hommes, surprenamment, Saturne y trouvera son compte. Loin de dépérir dans son exil, il enseignera aux humains l’agriculture, l’art du vin et des fêtes. Une nouvelle fois, Saturne détourne les règles pour imposer les siennes et fait de sa prison terrestre sa toute nouvelle orgie éternelle.
Cette communication d’outrage et de contournement est très utilisée par les politiques, les associations comme Greenpeace ou encore les grandes marques challengers comme Apple.
L’injonction à « think different. » qui se fiche de la grammaire anglaise est aussi saturnienne qu’un Président en fonction faisant des concours d’anecdotes sur YouTube depuis le palais de l’Élysée… ou d’un ministre de l’Économie portant une barbe naissante qu’il se fera raser à un salon de la coiffure [7], ou encore démissionnant de ses fonctions après une arrivée fracassante à bord d’une navette fluviale glissant sur la Seine [8].
C’est ce « think out of the box » si cher à la StartupNation qu’aura choisi d’incarner Emmanuel Macron tout au long de son parcours politique médiatique.
Après tout, pour rompre avec un establishment dont il est issu (ENA et banques), quoi de mieux qu’une posture éternellement provocatrice, quitte à s’aliéner les conservateurs d’ordinaire séduits par un programme libéral ? Emmanuel Macron ne pouvait appartenir à l’Ancien Monde, quand bien même en aurait-il bâti des structures entières, et cette disruption sensée le différencier des « autres politiques et élites » est aujourd’hui réemployée pour se différencier de ses concurrents… et quelque part de lui-même.
Si, durant son mandat jupitérien notre Saturne oscillait entre barres de rire avec jeunes torse nu et remontrances de boomers dès qu’on l’appelait « Manu », désormais, il descend voir les hommes pour participer à la fête… voire en donner le tempo. Car, la fameuse vidéo avec McFly et Carlito sort le week-end long de Pentecôte qui suit la réouverture des bars, restaurants et cinémas. Et après l’avoir vu boire à toutes les terrasses, Emmanuel Macron continue la narration de légèreté, faisant sien tout le relâchement émotionnel que suscite cette nouvelle phase dans la crise.
Il apparaît ici en totale contradiction avec une fonction pesante et impressionnante, se dotant d’une stature de libérateur bon vivant. Là où les oppositions semblent vouloir une austérité présidentielle et sanitaire… ?
Une nouvelle façon d’affirmer sa différence et de séduire une population nourrissant une réelle appétence pour les figures anticonformistes et rebelles, le tout, dans une époque où « briser les codes » est devenu un standard marketing très règlementé [9].
Les mortels face à tant de divin
Il y a ceux qui crient à l’outrage, à l’abaissement de la fonction. Ceux qui chérissent naïvement un divertissement qu’ils souhaitent absolument dépolitiser. Il y a ceux qui interrogent, dénoncent et condamnent. Mais il y a en définitive tous ceux-là qui, en relayant cette information, permettent à cette narration de créer l’évènement.
Ce faisant, de pousser à la normalisation d’une nouvelle forme de communication en la rendant, par son évident impact médiatique, indispensable.
Hier, Giscard d’Estaing regagnait sous les caméras son bureau rue Rivoli en métro, Chirac faisait le tour des stands, bière et cul de vache à la main au Salon de l’Agriculture… Aujourd’hui, Macron adopte les codes d’une toute nouvelle culture qui pèsera dans les prochaines présidentielles. Hanouna, Enjoy Phoenix, Tibaut Inshap ou encore McFly et Carlito, ces superstars des médias du 21e siècle sont les Elkabbach et Duhamel d’hier.
La fête a changé de décor, mais la musique est la même et nous, simples mortels, adorons voir nos dieux se mêler à la foule.
Notes et références :
[1] Image, politique et communication sous la Cinquième République par Christian Delporte
[2] Macron ne croit pas « au président normal, cela déstabilise les Français » – Challenges
[3] Le storytelling, par Sébastien Durand, ed Dunod
[4] Emmanuel Macron n’est qu’un vendeur de rêves ! par moi pour PressEnter
[5] Qui est le «maître des horloges» invoqué par Emmanuel Macron ? par Amélie James pour Libération
[6] « Qu’ils viennent me chercher »: la « provoc » de Macron – L’express
[7] Emmanuel Macron s’est fait raser au Salon de la coiffure – Le Figaro
[8] La navette fluviale d’Emmanuel Macron, vedette inattendue de son départ du gouvernement – FranceInfo
[9] Le jargon du bureau : « casser les codes » par Alexandre des Isnards pour Capital
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