La première fois où j’ai entendu parler de « persona », je me suis dit « Ouais, c’est l’segment de marché, quoi… ». Et on m’a rétorqué un truc du style : « Pas du touuuuuuut ! C’est beaucoup plus précis ! »
Et « précis », c’est vraiment pas le mot que j’aurais employé. Avec le temps, la première gêne face à cette « révolution du marketing » s’est transformée en réelle lassitude, voire désintérêt.
Les personas n’ont rien de précis. Ce sont des doudous de markéteux sur lequel on a collé plein d’icônes et de lignes, comme autant de gommettes en maternelle.
Ca sert à rien ? Tel que c’est fait et tel qu’on nous explique qu’il faut le faire (sous peine généralement de s’attirer la colère des dieux de la pub), oui.
Enfin… « ça dépend »
Voilà un beau flagrant délit de « faites ce que je dis, pas c’que j’fais » n’est-ce pas ? Je vous dis que ça sert à rien et qu’il ne faut pas le faire, et je les ajoute pourtant dans les brandbooks que je produis.
Alors, oui. Mais j’ai une bonne raison.
Cela fait partie de la culture du client. Je m’explique : les clients qui viennent à moi avec l’intention de travailler leur image de marque et leur storytelling connaissent déjà deux-trois trucs. Ils ont déjà entendu parler de Why et de valeurs, mais aussi de personas. En outre, le brandbook que je produis est un ensemble d’éléments identitaires pour la marque, auxquels on peut ajouter la charte éditoriale et graphique selon les demandes. C’est un objet utilisable par toutes les parties prenantes de la communication de marque (SEO, rédac, CM…).
(C’est le moment où je glisse un appel à l’action pour m’acheter cette prestation)
Je disais : les personas sont demandés et rassurent tout le monde parce que c’est le « à qui on s’adresse » qui permet le plus souvent de s’adapter niveau ton, etc.
Pourtant, tels qu’ils sont conçus la plupart du temps, ils sont inutilement complexes et superficiels.
Tapez dans Google image « persona exemple » et voyez le nombre de cartes plus fouillées les unes que les autres qui vous sautent à la rétine.
Je le disais en intro : ce ne sont plus des éléments utiles, ce sont des tableaux de gommettes !
Exemples :
Il y a un template qui circule pas mal et qui met la part belle à tous les éléments que je qualifie de « graphiques » aux personas :
Des éléments qui ne servent à rien. A. RIEN.
Qui s’en fout de la citation de Jeanine, au juste ? Ça nous apprend quoi ? Ses désirs et ses craintes ? Ses objectifs et ses attentes ?!
Ouais ?
Alors, pourquoi ne pas faire des templates centrés sur ces éléments, eh ?
Et « Qué s’appelerio la carte d’empathie »
Parce que c’est une énorme perte de temps. Ça peut vous amuser deux minutes (ou amuser le ou la stagiaire) de designer des personas comme s’il s’agissait de vraies personnes, d’y glisser des clins d’œil à des gens de notre connaissance. Mais, fondamentalement, c’est une perte de temps.
Ce qui compte en narration ce sont les tensions et les conflits.
À moins que la marque soit pertinente sur les faits tels que la personne soit mariée, blonde, unijambiste et trouve que la phrase fétiche de Gandhi est tellement inspirante ; ça n’a aucun intérêt pour votre storytelling.
Ce qui va compter sera les frictions potentielles, les inquiétudes, les désirs, etc.
Un peu comme si le but d’un produit ou d’un service était littéralement de répondre à un besoin, un désir ou une peur…
Un peu.
Donc, laissons tomber les fioritures d’écrivain lyrique et reprenons la casquette de storyteller.
A l’instar des personnages de romans, l’être humain est fait de désirs et de craintes. Ces deux éléments génèrent des conflits (internes et externes). Et, tout ceci génère des attitudes, de choix vestimentaires et des choix de vie.
Certes, dire :
Peut nous en apprendre. Mais c’est une vision d’écrivain. Une façon subliminale de donner une information à un public. Pas de concevoir un personnage.
On s’en fout que sur la fiche de personnage d’Harry Potter il y ait marqué « porte des lunettes et a une cicatrice en forme d’éclair sur le front. » Ce qui compte c’est POURQUOI il a ça. Et ce qu’on va en faire narrativement.
Les lunettes ne servent pratiquement à rien dans le bouquin, la cicatrice, elle, oui.
MAIS, savoir qu’il a ça d’un point de vue de lecteur vous pousse à vous interroger sur le pourquoi. D’un point de vue marketing… ça vous déclenche quoi ?
En fait, on ne peut pas deviner. Et en marketing, notre job n’est pas de faire deviner aux autres, mais de leur donner des clés !
Donc, quand vous rédigez des personas, oui, vous réfléchissez… mais votre tableau de persona est là pour que les autres n’aient pas à le faire. Qu’il n’y ait aucune interprétation possible. Aucun (mauvais) choix possible.
Ne dites pas que Harry Potter a une cicatrice, dites qu’il a besoin d’un fond de teint couvrant.
Ne dites pas que Jeanine aime Patrick Sébastien, dites que les sorties au bal musette avec Gérard lui manquent !
Vos futurs clients ne sont pas des gens avec des caractéristiques. Ce sont des personnes traversées par une foule d’émotions. (Et certains storytellers malins diraient « de narrations »)
En d’autres termes, il faut moins faire preuve d’imagination quand on conçoit ses personas que d’empathie.
Alors, qu’est-ce que c’est ? Une carte rassemblant les principaux éléments de conflits et désirs autour d’un individu. Son rapport à la société, à ses proches, à un problème particulier… Ca peut aussi être centré sur ses frictions dans la conversion, bref, on s’intéresse vraiment à l’Humain !
À quoi sert une carte d’empathie ?
Pour faire simple : à comprendre ce qui anime un individu. À répondre à tous ses « pourquoi ».
Si ma méthode s’appuie à la fois sur de la data et beaucoup d’écoute et observation, le rendu, lui, varie. Si je sens que le client a besoin d’éléments plus lyriques, je vais lui proposer un truc assez conventionnel :
Comment j’ai conçu ce persona ?
J’ai choisi de mettre en avant :
C’est un mix avec gommettes et éléments narratifs explicites. Je ne le présente pas sous forme de carte d’empathie qui est pour moi un outil, et qui manque de clarté, parfois, pour les autres parties prenantes.
Mais il m’arrive aussi d’aller vraiment à l’essentiel :
Comme vous le voyez, avant de présenter le book final au client, je lui fais valider une version extra-light de son persona principal (ici, on ne va en cibler qu’un). Pas besoin de lui mettre les fioritures, je veux valider avec lui ce qu’on a découvert et permettre d’aller droit au but.
Quelle est ma méthode de conception ? Vous l’avez vu plus haut : savant mélange de data et d’observation. Cette dernière peut être numérique comme physique. Il m’arrive de me déplacer dans des endroits relatifs à ceux de mes clients pour voir et noter qui s’y trouve, ce qu’il s’y dit, etc.
En outre, et certainement parce que j’écris aussi des histoires à côté, j’écoute tout le temps les autres conversations quand je sors quelque part. C’est cringe, peut-être. Mais ya pas meilleure école !
Un truc vraiment utile, qu’en pensez-vous ?
Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de vous demander à quoi vont servir vos personas, puis d’aller prendre le temps de réfléchir et de sortir de vos certitudes. Ensuite, de les retranscrire avec une seule idée en tête : ça ne doit pas être sujet à interprétation et ça doit rester utile.
Utile pour vos objectifs ! C’est comme en jeux de rôles. Si l’univers est basé sur des caractéristiques et des jets de dés, ça fera sens que votre fiche détaille tout ce que vous savez faire ou non. Mais si c’est un univers basé sur la narration et le rôle-play, vous avez surtout besoin d’avoir vos conflits, objectifs, et votre histoire.
À quoi sert une fiche de persona ?
Ni à du jeu de rôles, ni à écrire un livre.
À vendre votre came !