J’ai récemment évoqué la figure féminine dans un récit, expliquant mon point de vue quant à sa raison d’être principale et son archétype principal. Si dans l’article en question j’exprimais une certaine lassitude face à une écriture de personnages féminins rarement intéressante, ici nous allons voir ce que je propose pour éviter la plupart des écueils.
Avant même de vous parler de ma façon de fonctionner, je tiens à revenir sur un test très largement cité dès que l’on aborde la question de la création de personnages féminins – et plus généralement de leur sexisme. Je parle du test de Bechdel qu’on nous sort à toutes les sauces pour vérifier le taux de parité d’un texte. Ce dernier repose sur trois axes simples :
De nombreux auteur(e)s rejettent la pertinence du test, simplement parce qu’il ne dit rien de l’œuvre en elle-même, de la profondeur des personnages, ou même de la qualité générale de leur intégration dans le récit.
Et concernant plus précisément les personnages féminins, vous avez le « test de la Mary-Sue » (terme que l’on reverra prochainement) qui, hélas, est si impitoyable que je n’ai, je crois, aucun personnage qui n’y rentre pas un petit peu dedans.
Alors pourquoi y fais-je référence si j’estime qu’il est inutile ? Parce que ce test est l’exemple assez typique selon moi de la façon dont on prend le « problème de l’écriture ».
On a (trop) tendance à la peser. Si, d’un point de vue purement informatique, écrire se rapporte à de l’algorithmie, je n’aime pourtant pas que l’on soupèse les mots, leur densité, et que l’on crée des personnages et des arcs selon des critères proches de l’agroalimentaire. Tout ceci au regard de mon métier de Rédactrice qui consiste, précisément, à faire ce découpage.
Un personnage féminin est avant toute chose un personnage. Plutôt que de le différencier du fait de son sexe, commençons plutôt à l’écrire comme on le ferait de tout personnage normal. J’entends d’ici les objections : « Oui, mais ça peut être utile de souligner son sexe pour l’intrigue », certes, mais pas plus, pas moins qu’un homme, et nous verrons pourquoi par la suite.
Dans l’immédiat, vous voulez une femme qui tienne la route et vous avez un doute sur les risques de clichés sexistes et inintéressants ? Écrivez un personnage sans penser à son sexe, et, bien souvent, les questions de « la beauté de ses cheveux » de « la grâce de ses gestes » ou encore « du nombre de personnes impliquées dans les cercles amoureux » vont disparaître au profit de notions de caractère, de métier, de phobie, etc.
Je vais encore une fois prendre un exemple tiré du cinéma, mais le personnage d’Ellen Ripley dans la saga Alien avait été écrit… au masculin. Il n’était pas prévu à l’origine d’en faire une femme. Scott s’est contenté de penser à ce qu’il allait faire de son Commandant.
Résultat ? Un des personnages les plus bad-ass de la science-fiction, et une façon de rappeler que non, Rey de Star Wars n’est pas le petit miracle. Par la suite, Scott explorera effectivement la féminité de Ripley au travers de son rapport maternel, du sexe et de la thématique de la naissance presque christique (Spoiler : en lui proposant de refuser de donner « naissance » à une nouvelle reine, et donc en se suicidant. Ou comment retourner le concept d’une « Space-Marie »).
Homme ou femme, cela importe qu’à condition que le récit aborde cette question. Fondamentalement, posez-vous la question : est-ce que cela changerait quelque chose que mon personnage soit de l’autre sexe ? Si oui, creusez et déterminez si cela a une importance par rapport à votre construction sociale ou si cela en a par rapport à la construction sociale que vous avez esquissé dans le récit.
Dans « A la Moldue », une fanfiction Harry Potter –> Le personnage de Jane Smith pourrait être un homme. La seule raison pour laquelle ce n’est pas le cas est ma volonté d’écrire une romance hétéro avec un mec en particulier. Mais est-ce que cette romance ou son genre à elle change quelque chose au récit ? Non. Même pas un peu.
Dans « La Croisade des Cendres », une fanfiction Warcraft (à venir) –> Le personnage de Liriel Quel’Allah pourrait aussi être un homme. Son genre n’a strictement aucune incidence.
Dans « L’Autopsie de Salton », un roman noir en cours d’écriture –> Le Lieutenant Webster ne pourrait pas être une femme : je fais énormément référence aux codes masculinistes parce qu’il évolue dans un univers machiste qui réclame ce genre de figures. Une femme, dans ce récit, serait l’archétype de la femme fatale.
Dans « Prémolaire », une nouvelle apocalyptique –> Diane (qui n’a d’ailleurs pas de nom) ne pourrait pas être un homme, parce que j’utilise volontairement la construction actuelle d’une femme pour la montrer « formée et protégée » par son frère, avant qu’on ait un renversement scénaristique. Diane dispose d’ailleurs d’une des plus grosses descriptions physiques, chose rare chez moi.
Car oui, si mes héroïnes sont souvent charismatiques, je ne précise pas toujours leur physique. Mais je pêche encore, car elles ont tendance à être plutôt jolies et avec un IMC dans la moyenne. Et on pourrait me faire le reproche de ne faire que des blanches (ou des blancs en général), mais même lorsque les personnages sont blacks, j’ai tendance à ne pas le préciser (cf : Blase Zabini que je n’écris jamais comme étant « le Serpentard Black »).
Mais l’apparence d’un personnage importe généralement peu, elle doit être là pour être utile. Dans le cas de Diane, on sait de par ses fringues quel genre de salariée elle est. Quand on rencontre les amis de Jane, on comprend plus ou moins à quelle caste sociale ils sont… Les vêtements sont des codes, les physiques aussi, et votre personnage peut être sale, puer, pas être épilée, etc…
Note : Il est vrai que Liriel et Jane n’ont pas été épargnées parfois par les aléas esthétiques de leurs histoires…
Parce que la femme jusqu’ici est une figure emblématique, plus qu’une personne. Le fait même de marquer la différence de genre, même encore aujourd’hui, démontre notre incapacité à ne pas penser la femme autrement que par rapport à son genre.
Et ce qui coince en général sont les clichés : elle est belle, douce, sensible, faible, incapable de (ou alors si elle l’est, on va mettre l’emphase sur le fait que « pour une femme… »), a un instinct maternel, est empathique au-delà de la logique… ; est jalouse, capricieuse, dépensière, futile… Bref, tout le champ des qualités et des défauts associés aux femmes depuis longtemps. C’est cela qui agace et qui est constitutif du sexisme – tout autant que ce genre de clichés sexistes chez les hommes (le fort, le vrai, le poilu !).
La difficulté ne réside pas dans la tâche mais dans notre rapport aux femmes et à leur place. Est-ce qu’il est plus simple pour une femme d’écrire une femme et inversement ? Absolument pas ! Et j’ai pléthore de bons et de mauvais exemples de chaque côté.
En fait, les bons personnages féminins sont souvent écrits par des auteur(e)s sachant écrire… de bons personnages. Et nous y viendrons tout naturellement la prochaine fois.