J’en ai parlé récemment, écrire un mauvais méchant, cliché et parfois ridicule n’est pas difficile. C’est même par là qu’on commence tous. Après vous avoir donné ma vision de certains biais qu’on voit beaucoup aujourd’hui encore, je voudrais vous partager ma façon de faire. On adhère, ou on n’adhère pas, nous sommes tous des scotchs libres ! (Dans un prochain épisode, j’aborderai aussi l’humour…)
Qu’est-ce que le mal ?
Je vous laissais dans mon précédent article avec l’idée que le Bien et le Mal sont des notions souvent mal-définies et caricaturées dans les œuvres (et la société en général). Ce qui est mal n’est pas forcément amoral, et inversement.
Alors comme je ne vais pas vous faire le coup de la citation philosophique et inspirante à balancer sur les réseaux sociaux, je vais me contenter de vous livrer ma vision du truc : le mal c’est quand on fait du mal aux autres. Techniquement, dominer quelqu’un qui ne le désire pas c’est faire le mal. Blesser moralement ou physiquement quelqu’un (peu importe la raison), c’est faire le mal.
Est-ce que « moindre mal pour le plus grand bien » c’est mal ? Oui. Est-ce que c’est amoral ? Ca va dépendre du curseur sociétal à l’instant où on répond à la question.
Parce que la morale, c’est une affaire de mœurs
Réduire quelqu’un en esclavage quand c’est légal et socialement approuvé, c’est mal, mais ce n’est pas amoral. Faire l’amour à quelqu’un du même sexe, c’est bien, mais selon les pays et les époques, c’est amoral.
Partant de ce constat, un personnage mauvais sera un personnage mauvais selon :
- Votre morale sociétale
- Pas la vôtre personnellement
- La morale de sa cosmologie
- Le mal qu’il fera aux autres personnages de sa cosmologie
Attention au personnage qui serait mauvais selon NOS critères, et « normal » selon les critères des protagonistes de votre œuvre : exemple encore avec l’esclavagisme. Oui, ça va créer un biais avec le lecteur, mais ça peut au contraire être très intéressant.
L’anti-héros d’aujourd’hui
Partant de cette idée de clair-obscur, on se retrouve facilement avec ce que la pop-culture appelle « l’anti-héros ». Le mec qui n’est pas bon, mais qui œuvre pour le Bien. Cette définition est inexacte, puisque normalement il s’agit simplement du personnage central qui n’a rien d’héroïque au sens dramatique du terme.
Ce glissement vient très certainement du fait qu’on a tué la figure héroïque romantique par excellence, celle du héros antique, le demi-dieu, et qu’on a créé pour le supplanter le « super-héros », acceptant définitivement l’idée que si Dieu est mort, l’Homme n’est qu’un corps qui se traîne.
- L’anti-héros d’hier : Dracula.
- L’anti-héros d’aujourd’hui : Deadpool (typiquement sur la limite des deux définitions)
Le mal séducteur
Un bon personnage (mauvais ou non) est fait de nuances. C’est là qu’il va devenir intéressant, attachant. Dans la réalité, nous avons facilement tendance à admirer ou à aimer une personne (ou son travail) indépendamment de son « alignement ».
Combien de personnes adulent Steve Jobs tout en achetant pourtant « commerce équitable » ? Cet homme particulièrement connu pour son management toxique, est un personnage qu’on qualifierait facilement de « mauvais ». Combien de personnes sont déçues dès qu’elles apprennent qu’une de leurs idoles a fait quelque chose de mal ou d’amoral ? Typiquement : pouvons-nous aimer le personnage de Léo Ferré, anarchiste ultra-misogyne, et pourtant grand poète ? Pourquoi sommes-nous fascinés par des Césars, des Napoléons, des Darth Vader ?
Parce que le mal a beaucoup plus de nuances dans notre culture que le bien, et que ces nuances – humaines – nous ressemblent. C’est parce que le personnage (ou l’individu) mauvais n’est pas entièrement mauvais qu’il nous plaît. Contrairement au personnage bon qui, s’il dévie, va vite se retrouver flanqué dans la catégorie de « l’anti-héros ». A tort.
Parce qu’on va chercher à se faire peur, parce qu’on va chercher la lumière dans le mal (pour trouver une sorte de rédemption ? Allez savoir, je ne suis pas psy !), on va adorer détester ces personnages.
Le clair-obscur en littérature
Dans cette idée de nuance, je vais adorer présenter des personnages mauvais qui le sont parfois par simple instinct, par envie de faire du mal. Une envie purement pathétique juste parce que quelqu’un aura été désagréable avec eux. J’ai conçu des personnages qui ont sombré dans le mal en accusant les autres d’en être responsables, sans accepter qu’il aime sa situation.
Ça, c’est le mauvais qui n’a pas d’ambition, c’est le personnage qui, je trouve est le plus dangereux en général. Il va pourrir la situation, vraiment. Il va être un vrai élément de malfaisance, ne serait-ce que de par son point de vue particulièrement toxique.
À côté de ça, j’ai un autre personnage mauvais qui est une pointure politique parfaite, totalement autocentré, raciste au possible, mais fou de son épouse et c’est probablement le personnage masculin qui respecte en réalité le plus sa conjointe. Ce qui donne des scènes d’un romantisme (et parfois d’un érotisme) énorme, alors que c’est – disons-le, un bel enfoiré.
C’est dans cette veine du personnage complexe que je situe mes « gentils », des gens qui peuvent être lâches, des gens qui peuvent sacrifier des personnes « pour le plus grand Bien »… Je mêle à la vérité les personnages « bons et mauvais » sans m’intéresser à leur alignement. Parce qu’il ne compte pas.
Leur caractère compte. Leurs aspirations comptent. Leurs choix dans l’intrigue comptent. Leur morale et leur notion de Bien et de Mal ? Absolument pas.
Une question de camp
Ce qui va compter sera donc dans quel « camp » travaille votre personnage. S’il œuvre pour le Bien en étant « Mauvais » l’est-il toujours ? Et inversement.
La vraie question est de savoir si c’est réellement intéressant de savoir où situer « l’âme » du personnage.
Ma réponse est « non ». Parce qu’à titre personnel je ne pense pas être quelqu’un de bien (je ne cherche pas le bien autour de moi). J’évite de faire du mal, c’est tout. Donc le personnage « Camille Gillet » n’aura aucun intérêt littéraire ? Pas sûr : si on commence à créer des contradictions, des incohérences (vous savez, ce qu’on essaie justement de gommer frénétiquement en ce moment parce qu’on DOIT ranger les gens dans des cases), on va développer le personnage. Bon ou mauvais, on va faire quelque chose de réaliste.
Un personnage égoïste qui abandonnerait tout pour la personne qu’il aime, ou un personnage engagé dans des associations caritatives qui aiment regarder des gens se faire humilier à la télévision.
Lequel est le méchant de l’histoire ?