Vous pensiez que c’était la fin d’un monde ? La fin de la surconsommation ? Qu’avec le confinement et la grande révélation des vrais métiers qui comptent le milieu de la publicité allait s’effondrer ?
Allons, c’est mal connaître la résilience du marketing ! Et c’est surtout mal connaître le carburant du storytelling : le conflit.
En nous créant de l’inattendu, en nous créant des frictions et difficultés, le coronavirus ne fait que doper le storytelling des marques.
Nous allons voir comment la publicité s’est adaptée à notre époque avec brio, et quelles sont les tendances en matière de storytelling dans ce nouveau contexte, puis nous terminerons par l’observation de quelques excellents exemples.
💰 Un secteur de la pub en berne, vraiment ?
Quand les mesures de confinement sont tombées, toute l’économie a retenu son souffle. Les premiers budgets à s’être vus freinés ont été ceux de la publicité. Et c’était parfaitement logique : pourquoi continuer de diffuser des campagnes proposant d’aller quelque part quand les magasins et lieux de culture ne pouvaient plus ouvrir normalement ou bien qu’il était tout simplement interdit de sortir ?
Ainsi, dès avril 2020, 75% des annonceurs réduisaient leurs investissements et on prédisait sur l’année 2020 pas moins de 30% de réduction des investissements publicitaires en général (Intothemind).
Mais, parce qu’Internet existe, la crise a eu un autre effet : celui de booster les ventes en ligne.
En période de confinement, ContentSquare évaluait l’augmentation du taux de transactions à +45,2% par rapport à la période pré-confinement. Mouvement logique, puisque les entreprises de livraison ont continué de tourner, et que les boutiques en lignes et marketplace (Amazon en tête), ont été les seules fenêtres de consommation matérielle possible. Entendre ici : en dehors de la culture dématérialisée (films, séries, jeux vidéo). Culture qui a très largement profité du chômage partiel et des fermetures des écoles également, en témoigne le boom de +16 millions d’abonnés de Netflix sur cette période.
Ainsi, on notera que le Coronavirus aura eu pour effet de booster :
- la création d’applications web (+45,6 %) ;
- la création de sites d’e-commerce (+41,64 %) ;
- le SEO (+36,94 %) ;
- et la stratégie digitale (+30,40 %).
(Source : AffichesParisiennes)
Cette crise n’aura donc pas eu l’effet totalement dévastateur qu’on peut lire dans les grands médias, elle aura même été un accélérateur d’une tendance que l’on observait depuis des années : le marketing traditionnel est sur le déclin, le digital prend enfin toute sa place.
Et cela s’accompagne d’une autre victoire pour une autre tendance dont on ne cesse de vous rabâcher les yeux : le storytelling est plus que jamais la stratégie marketing gagnante.
⚙️ Pourquoi le Coronavirus est un moteur pour le storytelling
Pendant et après le confinement, la crise a été du véritable pain béni pour les créatifs. Et elle continue de l’être grâce aux rebondissements que nous offre la pandémie. Tout ce qui est nécessaire à une bonne histoire nous est servi sur un plateau par un pangolin décidément bien aimable.
- Qu’est-ce qui fait l’essence d’une histoire ? Le conflit. La difficulté. Les éléments perturbateurs.
- Qu’est-ce que le storytelling de marque ? Le récit choisit par cette dernière pour transmettre ses valeurs.
- Qu’est-ce qui a perturbé le bon déroulement des stratégies des entreprises cette année ? Le confinement, le déconfinement, puis la vie avec le coronavirus.
Avec la crise du Coronavirus, nous avons toutes les étapes parfaites du récit :
Et vous pensiez que c’était terminé… ? Mais comme toute bonne série, nous avons le droit à une saison 2 ! Au moment où cet article et cette infographie ont été créés, il n’était pas encore question d’un reconfinement. Et ce, même si les courbes prévisionnelles laissaient présager qu’il y aurait de nombreux rebondissements.
Si on doit étirer ce récit sur l’ensemble de la crise, en se projetant dans le futur, cela ressemblerait alors à cela :
📜 Et quelles sont les thématiques tirées de ce storytelling ?
- La perte du contact humain / le maintien d’un lien social
- La volonté de créer un monde de demain « post-covid » #MakeTheWorldABetterPlace
- Les mesures de sécurité sanitaire #StayAtHome et #WearAMask et autres #GestesBarrière
Le storytelling puise donc dans ces arcs narratifs et nous nourrit de nouvelles histoires tournées vers l’Humain et ce monde meilleur, faisant des entreprises qui en usent des fleurons de la reconquête sociale post-covid. Des partenaires de situation de crise. Des alliés dans le même bateau, des entités proches de nous, et ayant à cœur notre bien-être.
Durant le confinement, on est sur du marketing de proximité, de confiance, pour l’essentiel. Les entreprises adoptent deux stratégies : celle de l’empathie et celle de la mise en garde. Les publicités ne vantent plus les valeurs ou les produits des marques, elles nous enjoignent à prendre soin de nous, à rester à la maison, à adopter les gestes barrières.
Comment ne pas développer un sentiment d’affection pour ces marques qui nous comprennent si bien, qui compatissent, qui cherchent à nous aider ? Comment ne pas nouer des liens forts grâce au rire déclenché par des campagnes décalées et nous offrant la possibilité de voir cette période avec plus de légèreté ? Comment ne pas changer son regard sur l’Entreprise, quand celle-ci devient une figure héroïque qui ne cesse de vous rabâcher que VOUS êtes les vrais héros ?
🔍 Analyse du storytelling de crise
Nous avons vu qu’il y a eu trois phases créatives pour le storytelling :
- la communication pendant le confinement ;
- celle du déconfinement ;
- celle de la situation délicate actuelle.
Et parmi ces phases, nous avons également vu qu’il y avait plusieurs thématiques et choix d’approche. Nous allons observer comment ces thématiques ont été mises en œuvre par les marques et ce qu’elles transmettent grâce à cela.
🏘️ La thématique #StayAtHome pendant le confinement
🏎️ Jeep au point mort, sauf sur la pub
Mood a créé cette publicité pour Jeep. Le point de vue est celui de l’intérieur du moteur du véhicule. Il s’agit donc celui du véhicule en question. Et au lieu de voir de beaux paysages exotiques comme le fait souvent la marque, nous voyons l’intérieur d’un garage fermé. La baseline est claire « La meilleure vue en ce moment », et si vous n’aviez toujours pas compris, en sous-titre « Hors de la route, à la maison ».
Jeep fait comme beaucoup de marques à cette époque : elle reprend ce qui fait son identité pour l’adapter à la situation actuelle. Ça permet d’ancrer la marque dans une temporalité et montrer qu’elle est tout aussi impactée que vous par la crise. Elle est même avec vous. Tellement de votre côté, tellement attentive à votre sécurité qu’elle vous enjoint, cette fois, à ne pas utiliser leurs produits. On va appeler ça une stratégie de fausse balle dans le pied.
Mais elle n’est pas la seule à jouer cette carte…
👑 Burger King les rois du marketing
S’il existait encore des gens qui en doutaient, Burger King fait clairement partie des marques avec les meilleures stratégies actuelles de storytelling. Toujours au top peu importe le support, du ticket de caisse amusant aux spots décalés en passant par les initiatives improbables (une couronne Burger King pour respecter les mesures de distanciations) pour qu’on parle d’eux, BK est vraiment LA marque à étudier pour qui veut apprendre le storytelling cross media.
Le Steakhouse n’a jamais aussi bien porté son nom. pic.twitter.com/9iEI6ektmq
— Burger King France (@BurgerKingFR) April 2, 2020
Dans un tweet très simple, la marque joue trois atouts :
Elle rappelle le nom de son produit phare, suscitant au passage une grande envie suite à l’effet de manque, et propose une alternative. Là aussi, elle joue la « fausse balle dans le pied » en nous donnant la recette de son Steakhouse. BK montre qu’elle comprend notre frustration, qu’elle veut surtout notre bonheur… et elle fait plaisir à ses marques fabricants, car on notera qu’il n’est pas question d’acheter le pain burger de chez Neto.
Vous noterez que pour la phase de cuisson du steak, Burger King rappelle « à défaut de pouvoir le cuire à la flamme », qui fait partie justement d’un de leurs engagements / proposition de valeur. Et la publicité – car vous le savez – se termine par un call to action classique sur le fait de partager la vidéo de son « Steakhouse de la quarantaine ».
Pourquoi c’est habile ? Parce que le consommateur va faire gratuitement la promotion de la marque après avoir réalisé lui-même un produit dont il est immédiatement fier et dont il attribue les mérites non pas à sa cuisine, mais à Burger King qui lui a donné la recette. Des rois on vous dit.
🛠️ Ikea, arrive encore à créer de nouveaux meubles
Fidèle à son storytelling principal, Ikéa s’est une nouvelle fois rangé du côté des familles pour proposer des notices de montage de cabanes. La marque a créé 6 notices, dont voici deux exemples :
Tout y est :
- réutilisation de la nomenclature des notices de montage ;
- rappel des noms si caractéristiques pour la marque ;
- réutilisation des vrais produits d’Ikéa pour réaliser ces cabanes.
Le message est clair : nous vous aidons à occuper de vos enfants, et vous n’avez besoin de rien, vous aviez déjà tout acheté chez nous. Nos produits sont adaptables. Nos produits sont là au quotidien.
🥳 Le ton publicitaire au déconfinement
Maintenant que les gens avaient à nouveau l’autorisation de sortir et d’aller acheter des choses, les entreprises ont dû adapter leur discours pour leur donner envie de revenir.
🍔 Mcdonald’s et le fastfood marketing
Voilà déjà quelques années que le slogan de McDonald’s est « Venez comme vous êtes », sous-entendant qu’un McDo est un lieu de vie qui vous appartient. Vous pouvez être vous-mêmes, vous êtes chez vous. Sans faire preuve d’une grande originalité, les restaurants ont réouverts sur cette adaptation du slogan : « Revenez comme vous êtes » et le déroule sur des visuels et une publicité qui ne parlent à aucun moment des produits, mais seulement de l’expérience client au sein de leurs restaurants.
Le spot balaie dans une série de mentions le spectre de leur clientèle et ce qu’elle vient chercher chez McDonald’s. Il montre qu’il ne s’agit pas d’un restaurant, mais d’un lieu de vie, de convivialité, d’échanges sociaux.
🚗 Kia passe la première sur les promos
À l’instar de Jeep, Kia, par l’intermédiaire de son agence Innocean, fait un spot ouvrant le garage et libérant enfin la voiture.
Même si le spot crée une tension en expliquant qu’il est trop tôt, il embraye immédiatement sur la possibilité de configurer en ligne sa prochaine voiture et donc de préparer le déconfinement pour être prêt le jour J. L’achat d’une voiture se faisant rarement sur un coup de tête, Kia prépare le terrain pour ce qui sera plus tard son programme « On the Road Again », avec facilité de paiement et mesures d’exception pour permettre aux futurs clients de tester les voitures en toute sécurité, malgré la situation sanitaire.
Une stratégie long-termiste qui semble considérer qu’on a vu le bout de cette crise.
👑 L’indétrônable Burger King
Deux spots à deux étapes de la crise : en déconfinement et en deuxième vague du coronavirus.
Burger King fait deux publicités en faisant appel à Fred Testot pour montrer avec humour comment revenir au restaurant, malgré la situation… puis, comment continuer de manger BK, malgré le rebond de l’épidémie.
Les deux spots sont similaires : les restaurants BK sont des avions permettant d’atteindre une destination (le plaisir ?), et les consignes de sécurités sont adaptées au coronavirus. Humour, dérision et fond de sérieux sont employés pour rassurer le consommateur : manger chez BK est sans danger, ils ont tout prévu.
La différence notable entre les deux va être que le second spot va introduire la notion de livraison à domicile, afin d’éviter les rassemblements. Burger King sort sa seconde campagne en octobre 2020, à l’ascension notable de la seconde vague, ce qui veut dire qu’elle a été réalisée quelques semaines auparavant. La marque anticipe la situation et montre qu’elle a conscience des enjeux actuels… et qu’il est possible de continuer à profiter de ses produits.
📣 Quand la communication de crise devient une communication normée
Mais, avec la crise du Covid qui s’éternise, et qui risque de le faire jusqu’à fin 2021, la communication finira par s’essouffler. Ce qu’on estimait être novateur et porteur sera déjà suffisamment éculé pour que l’esprit du public se désintéresse de ces campagnes.
Comment être innovant et disruptif quand on est la énième marque qui figure les mesures de distanciation sociale avec son logo ? Quand Coca-Cola le fait en écarta chaque lettre de son logo, ou Audi ou les JO en écartant chaque anneau, il n’y a plus rien de très créatif.
Et, passé l’émerveillement des premières campagnes nous assurant comprendre ce que l’on traverse ou jouant la carte de l’humour, il faudra alors trouver un second souffle narratif pour tenter de ne pas retomber dans les spots habituels. Les exemples de Kia et McDonald’s sont frappants en ce sens : si on enlève la faible référence à la situation, la narration n’a rien de différent par rapport à d’habitude. Le premier appelle à acheter une voiture grâce à une pléiade d’offres promotionnelles, le second à passer du temps convivial dans ses restaurants.
À voir ces propositions, pourtant survenues juste au déconfinement, on pressent un retour à la normale, ou une normalisation de la crise, très rapide.
De quoi se dire que le monde d’après, promis dans certains spots, sera presque aussi ennuyeux que celui d’avant…
Limpide et si anormalement représentatif d’un monde qui se laisse porter. Bravo à toi !
Pour ma part j’attends avec impatience le spot Nike US qui sortira lorsque une vie plus classique reviendra. Il sera à pleurer.
Merci ! Pour la pub Nike, c’est marrant parce que j’ai rendu un billet à une cliente la semaine dernière où j’analyse la pub Nike de cet été qui explique en gros que, malgré tout, rien n’arrêtera les revendications des gens et le progrès, et qui réaffirme les valeurs rassembleuses du sport.
https://www.youtube.com/watch?v=l4xzAoQbUkU
Ping : Pourquoi Burger King appelle à manger McDo ? - Camille Gillet
Ping : Pourquoi votre marque doit être en conflit pour exister ? - Alan Péron
Bravo Camille ! Très beau tour d’horizon de tout ce qui n’a pas manqué de nous étonner ces derniers mois. Je me disais souvent : « Mais comment font-ils pour réussir à profiter d’une telle situation ? ». Eh bien, comme cela, tout simplement 🙂
Merci Vincent ! Je suis absolument fascinée par les différentes narrations qui se présentent depuis le premier confinement, le deuxième était accès sur la restauration et la lutte « politique » (les guillemets sont pour le côté mollasson de la chose), je me demande sur quoi portera le troisième. On pourrait croire à une défense de la Culture, mais je ne sais pas si ça sera l’angle adopté. J’ai presque hâte de savoir ^^’