J’adore écrire les méchants. Je ne sais pas nécessairement les jouer en jeu de rôle, mais les écrire… On dit souvent que c’est plus difficile à écrire que les gentils, eh bien je ne suis absolument pas d’accord. Pour ma part, c’est tout l’inverse, et c’est essentiellement lié au fait que la société d’aujourd’hui est si manichéenne que sortir du vernis habituel rend tout de suite un personnage « peu sympathique » voire : un vrai antagoniste de première.
Alors, pourquoi y a-t-il autant de clichés ? Quels sont-ils ?
Les clichés, le genre du personnage et notre culture judeo-chrétienne
Bonjour les pieds dans le plat !
Impossible d’éviter sa culture quand on est auteur. Nos références et codes ne nous appartiennent pas, ils procèdent de traditions qui, elles-mêmes, ont tout piqué à d’autres à mesure des conquêtes et de l’évolution de l’Humanité. Il n’est donc pas difficile à comprendre qu’un personnage qui porte du noir est méchant et/ou appartient au domaine de la nuit, que s’il est défiguré, c’est pareil, et que s’il fume, c’est pareil.
Le vice et la laideur sont généralement les deux axes qui permettent d’enraciner un personnage mauvais. C’est comme ça, on nous a appris que le grimaçant était le malin.
L’homme sera brutal, conquérant, avide, n’hésitera pas à tuer de sang-froid ; la femme sera séductrice, cupide, trompeuse et généralement empoisonneuse. Regardez donc le traitement de cette pauvre Lucrezia par Hugo, comparé à ce que les historiens pensent en réalité d’elle…
En permanence, on a l’idée de l’animalité qui serait mauvaise, et tous les péchés de la Chrétienté (qui pour beaucoup viennent quand même du monde antique) se retrouvent compilés dans des personnages qui ne sont plus que cela : des concepts.
C’est comme ça qu’on accouche de sorte d’entité du mal comme Sauron, d’un Voldemort défiguré et incapable d’aimer (si ça c’est pas la preuve qu’il est vilain !), d’un Monsieur Hyde qui est la part animale et cachée d’une personne honnête, Barbe Bleue qui est un ogre… Et que dire des femmes ? Parlons de Lilith création littéraire (et pas vraiment religieuse), Morgane, la sœur sorcière et incestueuse d’Arthur (elle cumule !), Circée, Médée…
Et concrètement, ça donne des scènes douloureuses à endurer
Celles où le/la méchant(e) se met à rire de façon démentielle tout en démembrant les gens, à coucher avec tout le monde, à comploter sur des complots en vue de complots à ourdir dans le plus grand secret comploteur…
Ça donne des personnages qui n’ont pas vraiment de logique, qui sont simplement une incarnation fantasmée du mal et qui s’opposent en général à des personnages « gentils » tout aussi caricaturaux.
Le piège du méchant qui est en fait plutôt sympa ou avec un lourd passé
Le personnage qui est présenté à l’origine comme mauvais, mais qui a une excuse parce qu’il a été maltraité dans sa jeunesse, ou le personnage qui en fait n’est pas vraiment mauvais au fond, regardez : il fait même des blagues… C’est un peu le cliché actuel (coucou Marvel), et ça m’agace. Le méchant qui est une vraie pourriture, mais qui est trop cool parce qu’il massacre au rythme des envolées lyriques de Freddy Mercury (Coucou Warner et Suicide Squad), ça me fait péter une pile.
I – Partir du principe qu’on peut essayer de faire un génocide parce qu’on a découvert qu’on a été adopté, mais qu’on nous pardonne parce qu’on a 1) une belle gueule, 2) qu’on est le comic relief. Non. Donc merci d’arrêter de bringuebaler Loki dans la moitié de son univers. Il n’est pas mauvais, il est chaotique. Rien à voir (et merci de ne plus faire de sa fille sa sœur-kikoo-dark).
II – Hannibal Lecter qui est un psychopathe, parce que (SPOILER) il aurait bouffé sa sœur, et pas juste parce qu’il l’est. Non.
III – Kylo Ren qui n’est pas vraiment un méchant, mais qui… Non, j’avais dit que j’arrêtais avec Star Wars.
Expliquer par une psychologie de comptoir les raisons de faire « le mal », c’est un procédé que je trouve particulièrement bancal. Détruire son antagoniste avec quelques blagues pétomaniaques, c’est pas mieux non plus.
Et que dire de la vague de ces « vrais-faux méchants » façon Thanos qui nous expliquent que, finalement, « est-ce que le mieux ne serait pas l’ennemi du bien ? » ?
Le problème du personnage méchant est qu’il est méchant
Un méchant n’est ni cool, ni repoussant, c’est surtout un personnage comme un autre. C’est tout.
Alors, forcément, baignant allègrement dans nos clichés et certitudes, on va vouloir montrer au lecteur/spectateur/autre que le personnage est du mauvais côté.
Oui, mais de quoi ? De la loi ? De la morale ? Tout ça c’est très subjectif et ne veut pas forcément dire qu’une personne est mauvaise. Prenons quelqu’un qui se bat contre l’esclavagisme à l’époque où c’est légal. Est-ce que cette personne qui va contre la loi est mauvaise pour autant ? Prenons quelqu’un qui va tromper son/sa conjointe à un moment où c’est considéré comme amoral (genre aujourd’hui encore), est-ce que ça en fait quelqu’un de mauvais ?
Le problème du méchant, et donc de notre façon de l’appréhender et de le construire, vient surtout du fait qu’on n’a toujours pas défini ce qu’était le Mal. Que ça soit à échelle sociétale ou personnelle, les repaires sont biaisés et ne valent pas un clou.
Un chômeur est-il mauvais ? Rien à voir, pourtant c’est mal vu. Une femme qui ne veut pas d’enfant est-elle mauvaise ? Rien à voir, pourtant c’est mal vu. Quelqu’un qui sous-paie ses salarié(e)s est quelqu’un de bien parce qu’employant des gens ? Rien à voir, et pourtant c’est bien vu.
Le gros problème d’un personnage mauvais tient donc en deux choses :
- Nous ne nous positionnons pas nécessairement nous-mêmes très clairement sur l’axe bien-mal en tant qu’auteur(e).
- Nous pensons qu’il faut dépeindre le mal pour que les autres le comprennent.
Or, et c’est applicable à tous les aspects de l’écriture : une œuvre est avant tout l’expression de son artiste, et non pas exclusivement des attentes de son public et de son époque. Sinon, ce n’est plus une œuvre, c’est un produit.