La vie d’une marque et d’une entreprise n’est pas un long fleuve tranquille. Il ne suffit pas d’avoir le meilleur produit du monde, le meilleur packaging et le meilleur site pour s’en sortir.
Parfois, il y a des ratés ou des imprévus qui obligent à repenser toute la stratégie… à commencer par la stratégie de communication !
On ressort alors le carnet et le crayon, et on esquisse un nouveau storytelling qui permettra de répondre à la crise traversée.
C’est ce qu’a dû faire McDonald’s suite à la sortie du film Supersize Me, et à la polémique sur la malbouffe qu’il incarnait [1]. La marque quittera le storytelling centré sur l’expérience familiale et infantile « magiques » au royaume de Ronald (années 90) pour entrer sur celui des bons produits, des petits producteurs soutenus (début 2000).
Le logo passera même du rouge au… vert, consolidant cette « transition écologique ».
Mais si tout le monde n’a pas cette force de frappe, toute entreprise peut s’appuyer sur le storytelling pour gérer une crise et en faire une force.
C’est ce qu’a fait L’Agence en 2021 avec une refonte complète de leur site et un prolongement de leur storytelling.
Pourquoi ? Nous allons découvrir ça.
La gestion de l’obstacle par une marque
Lors de mon précédent article sur la mise en scène des échecs et de la difficulté [2], j’introduisais mon propos par un rappel : la narration se nourrit de conflits et obstacles.
De fait, tout grain de sable dans la machine huilée d’une marque devient en réalité une véritable aubaine pour le storytelling ! Il vient remettre des péripéties dans l’histoire de la société et permet parfois de renforcer le lien avec son public, voire de toucher d’autres clients !
Le storytelling qui n’est rien d’autre qu’une technique marketing destinée à donner du sens à une entreprise | une situation | une décision démontre ainsi toute sa puissance en cas de crise [3], puisqu’il offrira l’opportunité pour la marque de justifier ses péripéties, de les intégrer à sa propre narration, de créer du sens (de l’enseignement, par exemple), et donc d’en ressortir grandie.
C’est à peu de chose près ce que l’on peut voir sur LinkedIn dans les topics type :
« Je n’ai pas reçu une lettre de refus, mais une lettre d’encouragement à poursuivre mes efforts ».
Ainsi, un documentaire sur la malbouffe qui vous érige en tête de ce fléau peut vous permettre de capter un signal fort des changements d’insights de votre cible, et vous obliger à adapter votre communication.
Mais cela peut être aussi des rumeurs infondées sur la dangerosité de votre produit que vous auriez volontairement laissé évoluer dans le but de capitaliser sur l’association « Marque = Prise de risque ». C’est typiquement le parti pris de RedBull avec l’exemple parfait d’une légende urbaine bien gérée [4].
L’important avec le storytelling de crise est de repérer les éléments narratifs sur lesquels s’appuyer, tout en répondant aux attentes cathartiques culturelles de votre cible.
- Cela peut être une narration de rédemption (McDonald’s devient vertueux et qualitatif)
- Comme cela peut-être une narration émancipatrice (RedBull et son storytelling « Yolo [5] »)
Le cas qui nous anime aujourd’hui est particulier.
Comme vous allez le voir, un obstacle s’est dressé sur sa route, mais il aurait pu rester totalement inconnu de la cible de la marque. Pourtant, L’Agence choisit de communiquer à ce sujet, et d’y aller de façon totalement disruptive…
Campagne « La Casa del design » pour sauver L’Agence
Cela fait 20 ans que L’Agence fonctionne. Marque de communication par excellence, elle tourne à plein régime avec un seul mot d’ordre : créativité.
À mesure des années, l’équipe d’experts se forme autour d’une figure forte en gueule et en sens esthétique qu’est Denis Lanarde. L’entreprise se développe et axe sa culture autour de l’authenticité, de l’éthique… et de l’engagement politique (sociétal, environnemental, local, etc.).
Bref, nous avons-là une belle sucess-story, avec des acteurs charismatiques et une image de marque s’articulant autour de l’idée d’une « secret agency de la communication », des pros pour des missions de haut vol, toujours avec style.
Seulement, voilà… James Bond se retrouve toujours acculé à un moment ou à un autre de sa mission, et s’il ne se fait pas systématiquement « latter les couilles » [6], l’obstacle qu’a dû surmonter L’Agence a dû particulièrement faire mal.
L’entreprise s’est pris un redressement judiciaire sur le coin de l’open space et c’était la douche froide.
Ou plutôt, comme le précise la page dédiée à ce storytelling [7] : « C’est la grosse merde… »
Et cette même page nous apprend que ce plan de redressement était sur 10 ans.
Attendez…
« Était » ?!?
Campagne « La Casa del design » pour mettre en scène les emmerdes de L’Agence
Contrairement à un « Bad Buzz » où la marque doit réagir à un événement et adapter sa communication, L’Agence était face à un obstacle totalement interne ! Aucune trace sur les réseaux de cette information qui aurait été donnée par quelqu’un d’externe à l’entreprise. Le redressement judiciaire avait le même impact narratif pour les clients qu’un changement de machine à café. Du moins, jusqu’à ce que L’Agence communique dessus.
Ce qu’elle décide de faire une fois la crise passée ! Et non avant ou pendant.
Pourquoi ?
Parce qu’à l’instar de ce que j’écrivais dans mon article précédent [2], les obstacles nourrissent les héros… quand ils les surmontent !
Lancer une communication de crise autour d’un obstacle qui peut signer la fin de l’aventure, c’est prendre le risque de s’exposer.
Le faire une fois l’obstacle surmonté permet de démontrer toute sa force, et d’en ressortir avec la cape des héros.
De prouver sa résilience, de prouver sa transparence, de réaffirmer ses valeurs, d’orienter le storytelling autour des changements opérés par la marque pour survivre.
Ici, L’Agence a revu à la baisse ses prétentions immobilières et s’est séparée de collaborateurs. Certains sont toujours des « coworkers », mais ils ne sont plus nécessairement des salariés de l’entreprise.
Chacun travaillant « pour son compte, mais sur une mission commune ».
Dans cette idée, et pour garder l’ADN de la « secret agency », Denis Lanarde imagine tout un storytelling et une esthétique orientés autour d’une référence culturelle très en vogue : le casse de la Casa de Papel.
La « secret agency » devient un « gang de talents » bien déterminé à faire « sauter la banque ». En d’autres termes, à trouver les fonds pour sortir de la crise.
La notion de « gang » renvoie à une culture d’entreprise forte qui respecte les individualités toutes aussi uniques et « bien trempées ». Le CEO Denis Lanarde se glisse dans le costume du « Professeur » et pilote les missions confiées à cette équipe de choc.
Reprenant le rouge historique de L’Agence et sa narration centrale autour de l’idée que la création est émancipatrice, le nouveau storytelling montre la maturité des valeurs et de l’histoire de l’entreprise.
Elle ne se dit pas disruptive. Elle se montre disruptive.
Elle fait sienne les obstacles et va jusqu’au bout de la narration héroïque en proposant à chacun de ses intervenants de devenir un vrai protagoniste de cette histoire.
En d’autres termes, grâce à la campagne « La Casa del Design », L’Agence ressort plus forte sur ses valeurs et sa communication disruptive et engagée.
Qui a dit que le storytelling de crise n’était pas un storytelling de succès ?
Notes et références :
[1] Lire « La communication de crise chez McDonald’s » document de Master 1 de Beya Benamane et Sihem Ramdani
[2] Lire « Le storytelling de la Hess »
[3] Lire « Storytelling in Crisis Communication » de Tuğçe Ertem Eray pour le « Online Journal of Communication and Media Technologies »
[4] Voir « Le danger RedBull » par Un Créatif.
[5] You Only Live Once trad : Tu n’as qu’une seule vie
[6] Voir l’adaptation de Casino Royal de 2006 par Martin Campbell
[7] Lire « Le plan » sur le site de L’Agence